Guerrière, Oasaka le 15 Mai 1867

Monsieur le Ministre,
　En réponse à la dépêche de Votre Excellence en date du 7 Mars dernier, je m’empresse de vous informer que les forces navales Américaines en Chine se composent actuellement de quatre corvettes le Hartford bâtiment Amiral, le Shenandoah, le Wachussette (Sic), le Wyoming, de deux grandes canonnières, le Monocacy et l’Ashusloh et enfin de deux transports à voiles. Le tableau dont je fais suivre cette dépêche fait connaître l’armement de ces divers bâtiments.
　Les quatre corvettes sont dans ces mers depuis longtemps déjà, on parle même du retour prochain du Wyoming aux Etats-Unis. Quant aux deux canonnières, elles sont arrivées récemment dans le but de concourir avec les forces françaises et anglaises à la répression de la piraterie si active et si redoutable, comme Votre Excellence le sait, sur les côtes du Céleste Empire. Mr. l’Amiral Bell, avec lequel j’entretiens des relations de la plus extrême courtoisie, a eu l’occasion de me le dire lui-même.
　Je serais étonné que l’expédition contre la Corée, annoncée par Mr. le Consul Général de Shang-haï, fut maintenant en question. Mr. l’Amiral Bell m’a assuré n’avoir reçu de cet égard aucune instruction de son Gouvernement et comme il n’aurait, ce me semble, aucun intention à en faire mystère, je suis porté à penser que ce bruit est dénué de tout fondement. Le Wachussette s’est rendu, en effet, dans le mois de février dernier sur Côtes de la Corée, dans le but de reconnaître les lieux où le Général Shermann a disparu. Il est allé jusqu’à la hauteur de Peling-Tao à l’entrée d’un petit golfe où ce navire de Commandant paraît-il, a été arrêté et détruit. Mais il ne put entrer en relations avec les habitants et revint à Shang-haï quelques jours après sans avoir recueilli aucun éclaircissement nouveau sur cet événement. Ce résultat était probable car, comme j’ai eu l’honneur d’en informer Votre Prédécesseur dans un de mes rapports, j’avais essayé moi-même d’obtenir des Coréens des informations sur les circonstances qui avaient entouré la destruction du Général Sherman et sur les lieux où elle avait eu lieu et je n’ai pu recueillir que des données très indécises et très vagues, tant il est difficile de se procurer des renseignements précis dans ce pays. Le voyage du Wachussett n’a donc eu aucun résultat, mais il a pu donner naissance au bruit qui est parvenu jusqu’au Département des Affaires Etrangères, bruit qu’a encore confirmé l’arrivée récente des deux canonnières auxquelles on a, sans doute, prêté une destination qu’elles semblent n’avoir jamais eue.
　D’ailleurs, Monsieur le Ministre, en dehors même des assurances qui m’ont été données par M. l’Amiral Bell, la Division Américaine, telle qu’elle est constituée aujoud’hui, ne pourrait guère engager des opérations sérieuses contre la Corée. Ses bâtiments sont trop forts ; le Monocacy et l’Ashelot, elles-mêmes, tirent trop d’eau pour pouvoir aller jusqu’aux points où elles devraient se rendre pour agir efficacement. J’ajoute que, pour une telle entreprise, il ne paraît indispensable d’avoir des troupes de débarquement que M. l’Amiral Bell ne possède pas.
　Toutes ces raisons me donnent la conviction que, pour le moment du moins la Division Navale des Etats-Unis ne pense point à attaquer la Corée. Elle pourra, peru-être, le faire plus tard mais il me paraît pas qu’elle s’y dispose et que cela soit aussi prochain que le pense M. le Consul Général de Shang-haï.
　Dans tous les cas, Monsieur le Ministre, si des faits de cette importance venaient à se présenter, je prie V.E. de vouloir bien croire que je les suivrais avec tout l’intérêt qu’ils méritent et que je les porterais sans retard à votre connaissance.

Je suis avec un profond respect,
Monsieur le Ministre,
De Votre Excellence,
Le très obéissant serviteur,
Le Contre-Amiral Commandant en chef.

G. Roze