†N.D. des Neiges, Province du Leatong, 28 Juin 1866

Monsieur l’Amiral,
　Vous êtes en cet extrême Orient pour nos chers compatriotes, pours nos néophites (Sic), pour nous tous, après Dieu, la raison de notre espérance.
　Voici la nouvelle qui m’arrive de Corée. Je transcris : “Corée, 10 Mars 1866_ …… nous sommes en persécution. Mgr= Berneux vicaire apost. de Corée a été pris le 23 février, et depuis, 5 confrères, M.M. Pourthié, Petit Nicolas, de Bretennières, Beaulieu, Dorie. Tous les autres vont être pris incessamment ; impossible d’y échapper. On parle déjà d’exécuter les 6 Européens pris, et je crois qu’il en sera ainsi, malgré les passeports français-chinois. Injure à la France, injure à L’empereur de Chine. Quoiqu’il en soit, fiat voluntas ! …… Mon tour va venir aussi, et je prie Dieu de me soutenir dans l’arène …… On a pillé la maison de Mgr= Berneux où se trouvaient réunis l’argent et tous les objets de la mission, perte de bien près de 100,000 f……. Adieu …… priez pour moi ……

†Antoine Ev. Coadjuteur de Corée.”

　Les 2 courriers coréens qui m’ont remis cette lettre de Mgr= Daveluy ont attendu longtemps sur la Côte avant de pouvoir prendre la mer, et ils n’ont pu quitter la Corée que le 17 du courant. Ils affirment que Mgr= Berneux a été décapité le 24 de la 1ère lune — 15 mars — ; que les 5 missionnaires pris avec lui, l’ont été le 8 avril ; que Mgr= Daveluy a été pris vers la fin d’Avril, et, avec lui, encore 3 missionnaires ; que depuis S. Gr. avait été conduit à la capitale, mais que le Roi, sur les instances de sa mère qui est cathécumène (Sic), accordant un sursis l’avait renvoyé au Mandarin qui l’avait pris à 30 lieues de la capitale.
　Ils ajoutent — et ce sont les conclusions naturelles de telles prémisses — que partout les chrétiens sont pillés, traqués, massacrés ; qu’ils s’enfuient sur les montagnes où dénués de tout, ayant tout perdu ils meurent de faim et…
　Le Roi actuel âgé de 15 ans a été adopté par la mère du feu Roi ; elle a entouré son fils adoptif de ministres de gds= mandarins ennemis de la Religion et des Européens — car en ces pays c’est tout un — ; ce sont eux surtout qui ont provoqué ces sauvages massacres de nos compatriotes et des chrétiens. Et que dire aux Français quand ils viendront nous demander raison de tout cela, disait à l’un d’eux le père du Roi ? — Je m’en charge, répondit-il.
　Déjà, c’était en septembre 1839, ces mêmes Coréens faisaient expirer dans les tourments Mgr= Imbert, M.M. Chastan et Maubant. Depuis, transis de peur, ils étaient disposés à travailler avec nous — à tout prix ; puis attribuant notre abstention indéfinie ou à l’oubli ou à la faiblesse, leur instinct sanguinaire a repris le dessus.
　Helas ! En présence de tels actes, de cette boucherie scélérate, toute réflexion devient superflue. Amiral, vous avez tout compris ; les moments sont comptés ; plusieurs de nos compatriotes sont encore dans les fers, sous le couperet des assassins et chaque jour ils attendent, eux et leurs néophites (Sic), l’arrivée …… l’apparition de notre drapeau, ce drapeau devenu, ces années dernières surtout, si glorieux en cet extrême Orient, mais que ces barbares viennent d’insulter encore une fois, et de rougir dans le sang français.
　Je suis, etc…

Signé : Emm. Verrolles év ; vic. apost. de la Mandchourie, et……

P. S. En 1845 M. l’Amiral Cécile demandait dans une lettre au Roi de Corée raison de l’assassinat de nos 3 compatriotes. Il devait bientôt, disait-il, revenir pour chercher la réponse. En 1847, l’Amiral Lapierre revenait en effet, mais ayant échoué du même coup ses 2 navires frégate et corvette, il n’entama aucune négociation, et se borna, lui aussi, dans sa lettre au même Roi de Corée, à répéter le mot de l’amiral Cécile, que bientôt il reviendrait demander la réponse. Depuis la Virginie est venue sur ces Côtes, et a fait, je crois, de l’hydrographie pendant plusieurs mois ; mais elle n’a entrepris aucune relation officielle avec le Gouvernement.

　Pour copie conforme

Le C. Amiral Commandant en chef la Division navale de la Chine
G. Roze